Cet article s’adresse en particulier aux cadres en ressources humaines (DRH, RRH, …) négligeant leur B‑A-BA pour tomber dans le piège de la facilité et de la subjectivité. Les dérives de cette méthode de sourcing sont connus : manque de diversité, clonage, népotisme, copinage… Et un manque de rigueur dans le processus de recrutement pouvant aller à l’encontre des fondamentaux affichés par l’entreprise, notamment en matière de non-discrimination et de diversité.
Cette remarque s’applique aussi aux prestataires de service sans scrupule, auto-proclamés spécialistes des ressources humaines et du recrutement, qui s’engouffrent dans ce marché. Les exemples ne manquent pas de faux CV et de références bidons étant passés à travers les mailles de la “cooptation”. La recommandation est aussi la voie privilégiée par les affabulateurs.
Voyons d’abord quelle est la définition lexicale de ce joli mot :
A. Vx. Mode d’admission exceptionnelle, dans certains corps, d’un membre qui ne remplit pas toutes les conditions habituellement exigées. Il fut admis par cooptation dans l’université de Paris (Ac.1835–78). [Sous l’Ancien Régime]… la vénalité, la cooptation, le népotisme viciaient l’administration, déjà faible en soi puisqu’elle était abandonnée en grande partie à l’aristocratie (Lefebvre, Révol. fr.,1963, p. 98).B. ADMIN., DR. Désignation collégiale des nouveaux membres d’une assemblée, d’un corps constitué (p. oppos. à élection et nomination à concours) par les membres qui en font déjà partie. Recruter par cooptation ; les professeurs de Faculté sont choisis par cooptation ; les élections à l’Institut, à l’Académie française se font par cooptation. La cooptation pure, c’est-à-dire le recrutement des juges par les juges eux-mêmes sans contrôle supérieur risque de faire du corps judiciaire un État dans l’État (Vedel, Manuel élém. dr. constit.,1949, p. 332):
Les directions des établissements publics sont aussi désignées de façon variée depuis l’élection (président de syndicat de communes), la cooptation (doyen des facultés) jusqu’à la nomination par l’autorité de tutelle. G. Belorgey, Le Gouvernement et l’admin. de la France,1967, p. 61.- P. ext. (sans caractère institutionnel). Les dirigeants [de la SFIO] se recrutent essentiellement par cooptation, leur élection ayant un caractère de ratification (Traité sociol.,1968, p. 336).
Ce que l’on entend aujourd’hui par cooptation dans le cadre du recrutement :
La cooptation est un mode de recrutement consistant à recommander une personne de son réseau pour un poste. On parle également de “recrutement participatif” ou “de parrainage”. Cette méthode représenterait d’ailleurs 37% des recrutements de cadres en France selon l’Apec.
Les employés d’une entreprise peuvent recommander des candidats potentiels afin de pourvoir une offre au sein de leur société. Ce mode de recrutement par recommandation est surtout utilisé par les entreprises pour dénicher des profils expérimentés. (…)
Afin d’inciter les collaborateurs à recommander un candidat de leur entourage, les entreprises proposent une prime de cooptation dont le montant varie… Cette prime est en général versée au cooptateur à la fin de la période d’essai, lorsque le candidat recommandé est embauché.
En nuançant le propos par des remarques qui semblent évidentes mais qu’on oublie facilement :
Il ne faut pas confondre cooptation et piston ou copinage. Le candidat coopté est considéré de la même manière que le non-coopté, et le coopteur doit le présenter à l’entreprise pour ses compétences, et non pour l’affection qu’il lui porte, car il en va de sa propre crédibilité.
De plus, il est préférable que les entreprises n’abusent pas de ce mode de recrutement car cela réduirait la diversité des profils au sein de l’entreprise, et donc, son potentiel de performance.
Rien de très nouveau en somme. La recommandation fait depuis longtemps partie de la panoplie des méthodes de recherche utilisées par les entreprises et les sociétés de service dans leurs recrutements.
Pour les entreprises, la diffusion interne des opportunités de poste a pour but d’informer, de privilégier la promotion interne et de générer des candidatures externes par le biais de la recommandation. Pour une société de recrutement, exploiter son vivier de candidats et son réseau relationnel pour obtenir des recommandations est un mode d’approche courant. Un mode d’approche courant mais pas unique.
Cependant, les coopteurs ne sont généralement pas des recruteurs mais plus simplement et plus modestement des prescripteurs. Et le mot “cooptation” est souvent utilisé à tort et à travers par des sociétés de prestation en manque d’arguments marketing pour épicer le brouet de leur activité commerciale. C’est devenu un gimmick à la mode, une pseudo-nouveauté au goût frelaté, un moyen parmi d’autres de vendre ce qui est gratuit.
Battons en brèche les slogans de ceux qui en font la propagande et parfois le négoce.
1°. Cela fait gagner du temps
FAUX – Faire un travail bâclé ne prend pas beaucoup de temps, mais peut-on dire que cela en fait gagner ? Ne rien faire prend encore moins de temps, sur le moment. “Je n’ai pas le temps” c’est aussi l’excuse des médiocres, c’est l’argument des fainéants.
Par là, on entend surtout que cela fait gagner du temps par rapport à une recherche par annonce qui génère beaucoup de réponses, dont très peu sont pertinentes, et qui demande un long traitement : éditer, réceptionner, trier, analyser, classer, répondre… Mis à part qu’une annonce est aussi un support de communication, une publicité à peu de frais. Et qu’elle permet de recueillir des candidatures qui serviront pour d’autres recrutements, pour d’autres clients si on est une agence.
Ce qui est vrai, c’est qu’une recherche par annonce est plutôt une solution passive, qui peut s’avérer archaïque et inefficace par rapport à une approche directe ou indirecte via un réseau professionnel, un réseau relationnel. Certains candidats potentiels ne répondent pas aux annonces ou évitent de passer par des intermédiaires, des agences de recrutement. D’autres n’utilisent même pas les réseaux du Web, LinkedIn, Viadeo et autres.
Mais créer, utiliser et entretenir un réseau relationnel prend aussi beaucoup de temps. Et selon les profils recrutés et le volume des recrutements, cela peut s’avérer une méthode insuffisante pour récolter rapidement les candidatures adéquates.
Utiliser plusieurs méthodes de sourcing permet de se constituer un vivier plus large, plus diversifié, de candidats et de prescripteurs potentiels. Ce travail de fond est utile et même indispensable à long terme si l’on doit effectuer un volume régulier de recrutements, si on a une multitude de postes à pourvoir, si le délai est très court pour effectuer le recrutement.
2°. Cela coûte moins cher
“A la différence des méthodes traditionnelles par annonce ou cabinet de consulting, la cooptation s’avère économique, aucun frais n’étant engagé. Lorsque l’on passe par de la cooptation c’est comme si une entreprise passait par un chasseur de tête à la seule différence prêt : le coût.”
FAUX – La cooptation, la recherche de recommandations, fait de toute façon partie des méthodes traditionnelles utilisées aussi bien par les entreprises que par les agences. Ce qui est nouveau, c’est de mettre en place ou d’adhérer à un programme de cooptation rémunéré. Ce qui est nouveau, c’est de chercher à obtenir contre rémunération ce que l’on cherchait avant à obtenir gratuitement.
Ne devrait-on pas plutôt être fier de recommander une relation à son entreprise sans aucune carotte financière à la clé ? Être fier de suggérer à ses relations de participer à cette belle et grande entreprise à laquelle nous participons nous-même ? Être fier de leur permettre peut-être de participer aux mêmes majestueux projets ?
La question à se poser est la suivante : Si je paye pour obtenir des recommandations, sont-elles plus valables pour autant ? On peut en douter.
Si la cooptation devient une activité mercantile, elle peut tout autant en adopter les travers : contre-façon, fraude, publicité mensongère… Elle doit alors être soumise au même traitement qu’un achat de prestation de service, comme tout acte de sous-traitance.
Par ailleurs “le fait de fixer une rémunération peut engendrer des conflits larvés entre collaborateurs qui ont eu à présenter des candidats.” La cooptation doit avant tout participer d’un comportement désintéressé ayant pour but la valorisation et le développement de l’entreprise.
3°. De multiples recruteurs en interne
“Les entreprises ont ainsi à leur porté autant de recruteurs qu’ils ont d’employés motivés pour aider leur entreprise ainsi que les personnes en recherche d’emploi dans leur réseau. Chaque employé est ainsi un chasseur de prime prêt à utiliser son réseau.”
FAUX – C’est l’argument le plus trompeur en faveur de la cooptation. Car le coopteur, le prescripteur, n’est pas un recruteur professionnel : il n’est tenu par aucune charte, aucune déontologie, aucune méthodologie… Si ce n’est celle d’un programme de cooptation qui doit s’intégrer à la politique de recrutement globale de l’entreprise et en respecter les fondamentaux.
“Les opérationnels ont recours massivement à la cooptation, par souci de faciliter le recrutement ou de le sécuriser (en lien, souvent, avec des représentations quant au profil requis pour le poste), au risque de favoriser les mécanismes de reproduction sociale, de féminisation/masculinisation ou d’ethnicisation de certains métiers.”
Le coopteur n’est pas tenu de respecter les principes de non-discrimination qui s’imposent à un recruteur professionnel. Il ne fait aucune analyse de fonction, aucune vérification objective de parcours professionnel, de diplômes, de références, de motivations.
Le coopteur s’engage-t-il à ne recevoir aucune rémunération de la part de candidats, déclarés ou potentiels ? Met-il en œuvre des méthodes validées qu’il maîtrise et qui présentent des garanties de sérieux, d’efficacité et d’objectivité ? Quels moyens sont mis en œuvre pour le contrôler ?
“Les candidats cooptés sont « dispensés » de certaines étapes de la procédure de sélection, ou leur sélection ne s’opère pas dans les mêmes conditions d’objectivité que celle des autres candidats.”
Par bêtise, par paresse ou motivé par l’intérêt personnel, on prend le risque de susciter un recrutement sans respecter les principes de base de cette discipline. Même au sein des plus grandes entreprises bardées en principe de procédures draconiennes, on peut commettre l’erreur de recruter une personne simplement sur la base d’une recommandation, en omettant d’effectuer une analyse sérieuse du profil du candidat coopté.
Le bouche à oreille et le relationnel, pour ne pas parler de piston, ont toujours existé. Pour beaucoup d’entreprises, le réseau de connaissances reste, et de loin, la première source d’embauche. Il faut toutefois avoir conscience des limites de ce mode d’approche et être vigilant quant aux conditions de son utilisation.
Encadrer la cooptation par une charte, un guide de bonnes pratiques, est nécessaire afin d’en garder les bénéfices et d’en atténuer les effets pervers en termes d’équité, de parité et d’impartialité.
Quelques bonnes pratiques à mettre en œuvre :
(IMS-Entreprendre pour la Cité – Groupe de travail inter-entreprises 2004/2005)
1. Travailler avec les opérationnels sur leurs représentations éventuelles des profils requis aux postes pour lesquels ils ont recours à la cooptation, les ramener aux compétences requises pour tenir le poste (qui peuvent être trouvées dans des viviers diversifiés).
2. Sensibiliser les personnes décisionnaires en termes de recrutement aux incidences de la cooptation sur la diversité.
3. Utiliser la cooptation pour identifier des candidats. Appliquer ensuite aux candidats cooptés la même procédure de sélection que pour les autres candidats (dans le cas d’un recrutement externe comme dans celui d’un recrutement interne).
4. Faire en sorte que la personne qui a coopté (identifié le candidat) ne participe pas ensuite à la procédure de recrutement.
5. Effectuer une analyse statistique des effectifs cooptés. Opérer éventuellement un suivi spécifique de la carrière de ces recrues par rapport à celle de personnes recrutées par un autre canal et occupant des fonctions comparables.
6. Quand la cooptation constitue une modalité de recrutement reconnue et encouragée au sein de l’entreprise, voire rémunérée pour les salariés, expliquer à ces derniers les objectifs de recrutement de l’entreprise en termes de diversité pour qu’ils en soient les vecteurs (utiliser la cooptation pour diversifier le recrutement).
7. Lorsque la cooptation est institutionnalisée, limiter le recours à cette dernière, au besoin par des quotas.
Exemple : arrêter à 10% le taux de candidats pouvant être recrutés par le biais de la cooptation. S’assurer que la cooptation ne constitue pas la seule modalité de recrutement dans certains secteurs.
8. Lorsque la cooptation est institutionnalisée, démultiplier les réseaux de cooptation pour diversifier les profils.
Exemples : faire appel à des réseaux d’écoles peu sollicitées, à des réseaux de femmes, aux réseaux personnels, à certaines associations spécialisées, etc.
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